Nous nous sommes croisés en Septembre 2023

Rencontres lors de mes collectes dans les écosystèmes de l’île de Ré

Septembre, le temps des périples audacieux, voire téméraires.

A commencer par nos Hirondelles dont la détermination n’a pas été entamée par les fortes chaleurs de ce début d’Automne. La course du Soleil n’a pas manqué de leur donner le signal du départ vers les savanes d’Afrique ; bien d’autres ont suivi, comme les Hypolaïs polyglottes qui, tels les Griots d’Afrique de l’Ouest, pourront sans doute raconter d’interminables histoires sur leurs aventures européennes.

Mais, c’est une lointaine rumeur venant du Nord qui détourne notre regard : depuis les côtes de l’Océan Arctique enfle un formidable bruissement d’ailes qui agite peu à peu nos horizons septentrionaux.
Des Sanderlings du Groenland jusqu’aux Bernaches des confins de la Sibérie, en passant par les Barges de Scandinavie et les Courlis cendrés de Biélorussie, des millions d’oiseaux, voyant la vigueur de leur progéniture dans un espace où la nourriture se fait rare et n’appréciant guère l’envahissement de leurs territoires par l’obscurité, prennent leur envol pour rejoindre des contrées plus hospitalières.
Leurs avant-gardes sont déjà à nos portes, en Ré comme ailleurs ; certains ne feront que passer, comme les Traquets motteux ou les Guifettes noires, tandis que d’autres prendront ici leurs quartiers d’Hiver ; doucement estran et marais de notre île vont sortir de leur torpeur estivale.

Chlidonias niger (Guifette noire)
Chlidonias niger (Guifette noire)
23/09/23 - Mouille-Barbe / Ars en Ré
Crédits : Patrice Giraudeau

Enfin, parmi tous ces périples, il en est un quelque peu téméraire, en forme de rite annuel, que je ne peux passer sous silence, puisque, je dois l’avouer, j’y participe avec un immense plaisir.
Cela commence au petit matin, à Fouras, Pointe de la Fumée.
Tout doucement, dans la pénombre, s’agglutine sur le quai une petite troupe d’une cinquantaine de personnes.

Ils ont en commun de porter de volumineux sacs à dos hérissés d’énormes tromblons à faire fuir le simple passant quelque peu prudent.

Vous avez deviné..?

Ce sont des paparazzi ornithologiques près à tirer, le portrait, sur tout membre de la gent à plumes passant dans les parages !

"La Fée des îles" les attend : ils embarquent avec elle, pour un périple qui va les conduire au delà des colonnes d’Hercule, version charentaise, c’est à dire au delà des phares de Chassiron et des Baleines.
Ils ont rendez-vous avec l’invisible, ou presque !

Là-bas, c’est un autre monde ; c’est le pays des oiseaux du Large, ces oiseaux qui viennent rarement effleurer nos côtes, sauf en cas de tempête ou plus tristement, lors de catastrophes maritimes..
Neuf heures ! Les amarres sont larguées, et l’aventure commence : des dizaines de paires d’yeux scrutent intensément la surface de l’eau ; rien ne peut leur échapper. Puis, après une attente fébrile, tombent les premières annonces : "Macreuse noire à 10h, Hirondelles de rivage en migration à 3h" et ainsi de suite..
Passé Chassiron, la tension monte d’un cran ; nous arrivons au milieu les ligneurs et chalutiers auréolés de centaines d’oiseaux parmi lesquels se dissimulent les raretés.

Nouvelles annonces, suivies d’autant de rafales, photographiques.

Certains oiseaux s’approchent : manifestement, on intrigue, voire, on dérange tout ce petit monde..

On a l’impression que les Océanites tempêtent et qu’ils nous envoient les Grands Labbes pour nous sermonner..
Plus haut dans le ciel, la gent à plumes semble prendre cela avec dérision :
"Qu’ils sont comiques ces agités sur leur coquille de noix ballotée au gré de la houle !"
Et les plaisanteries fusent..
On devine les Fous rire..
Et les Puffins, de rire à leur tour..

Sept heures plus tard, de retour à Terre, chacun s’empresse de vider avec fébrilité sa besace à images, à la recherche de la prise miraculeuse..
Et là, stupeur !
Quelques Puffins, assurément "cendrés" vus du Large, deviennent plus improbables, d’autant que des cousins de Scopoli se sont invités au spectacle marin.
Ruée sur les bibles ornithologiques et lectures scrupuleuses des grands maîtres : tout cela doit être tiré au clair !
Et là, devant les mêmes images, avec les mêmes yeux, des flots d’avis bien différents déferlent, ballotant bon nombre de certitudes..
On scrute la blancheur de l’aile - est-ce bien du blanc ou quelque facétie lumineuse, ou un jeu de transparence ? - on cherche des points sous les ailes - 1 ?, 2 ?, ou rien.. - on compte et recompte - 9ème, 10ème couverture primaire sous-alaire, avec 1 point ou 2 ?..
L’interminable discussion s’étire fort tard dans les profondeurs de la nuit où, finalement, le sommeil finit par emporter les ultimes émotions.
Et dans cette même nuit, là-bas, bien loin sur l’Océan, les Puffins, tous gris à cette heure, continuent de sourire, amusés par les turpitudes envahissant les limbes de leurs amis ornithologues, qui, à force de compter des plumes, se sont doucement endormis au fond d’un lit bien douillet..

Alors, quand viendra l’aube, à ton tour, intrépide Lectrice ou Lecteur, de traverser l’estran jusqu’à la mer océane ;
et là, n’hésite pas à embarquer pour un voyage féerique vers les horizons marins ; je te montre le chemin : c’est par ici.

Patrice Giraudeau

Calonectris diomedea (Puffin de Scopoli)
Calonectris diomedea (Puffin de Scopoli)
02/09/2023 - Au large du Pertuis d’Antioche
Crédits : Patrice Giraudeau