Nous nous sommes croisés en Avril 2024

Rencontres lors de mes collectes dans les écosystèmes de l’île de Ré


Avril, le temps où les vents de sable s’essoufflent jusque dans nos contrées, en un bruissement lointain d’étranges mélopées,
Le temps où, tels des griots, Huppes, Hirondelles, Tourterelles des bois, et toute une longue caravane parée de plumes, s’installent et nous racontent en leurs langages des histoires d’Afrique et d’épiques périples ibériques..

Le temps aussi, de rendre hommage à un homme audacieux, souvent oublié, et qui en son temps démontra, envers et contre tous, l’existence de ces formidables voyages que sont les migrations aviaires : Pierre Belon (1517 - 1564)

Vous le connaissez un peu, c’est celui à qui on a dédié un Tadorne !

Tadorne de Belon
Tadorne de Belon
07/04/2023 - Pointe Blanche / Loix
Crédits : Patrice Giraudeau

Extrait de l’article de Jean DORST , "Les Migrations d’oiseaux vues par les anciens" (1950)


[...]
Nous voilà donc à l’aube du XVIIIème siècle, au cours duquel nous allons assister à une révolution dans l’esprit scientifique. Nombre d’auteurs resteront sans doute encore crédules, mais l’esprit critique va dorénavant dominer. Il convient cependant de voir si nulle voix ne s’était élevée auparavant pour défendre la migration des oiseaux qu’on voulait voir hiberner au fond des marais.

Nous rencontrerons celle du grand ornithologiste français Pierre Belon, né en 1517 dans la Sarthe, qui eut l’occasion, non seulement de voyager en Europe occidentale, mais également de visiter les pays du pourtour méditerranéen jusqu’en Asie mineure, ce qui représentait un exploit à l’époque. Au cours de ses pérégrinations, Belon eut l’occasion de rencontrer dans les pays chauds les oiseaux qu’on a coutume de voir chez nous l’été, ce qui évidemment constituait la preuve qu’ils n’étaient pas sous la glace des marais. Aussi défend-il les migrations aviennes, en écrivant entre autres dans L’Histoire de la nature des oyseaux, avec leurs descriptions et naïfs portraicts retirez du naturel, Paris 1555  :

« Il est tout arreté qu’elles (les Cigognes) se tiennent l’hiver au pais d’Egypte et d’Afrique, car nous avons été témoins d’en avoir vu les plaines d’Egypte blanchir, tant il y en avait dès le mois de septembre et d’octobre. » (Liv . IV, Chap. 10).


« ...Ne voulant rien dissimuler de ce que nous avons observé, dirons librement que comme aucuns ont pensé que les tourterelles se cachent et perdent leurs plumes en hyver, nous les avons vues en temps d’hyver, lors qu’elles nous sont absentes. »(Liv. VI, Chap. 20).


« ...Les hyrondelles ne se pouvant tenir l’hyver en nostre Europe, tant pour la grande froidure, que parce qu’elles n’y trouveraient pasture, s’en vont en Afrique, Egypte et Arabie, et là trouvant leur hyver quasi aussi à propos que nostre esté, n’ont faute de mangeaille. »((Liv. I, Chap. 13)

Belon relate de plus une expérience qui lui paraît décisive ; si l’on enferme des oiseaux « migrateurs » dans une volière, où l’on a ménagé des possibilités de retraite, on devrait observer l’hibernation des captifs. Or il n’en est rien ! Belon rejette donc l’idée d’un engourdissement hivernal pour tous les oiseaux qui disparaissent de nos régions, y compris les hirondelles, milans et cigognes, principaux objets du litige, faisant preuve d’un remarquable esprit critique, très « scientifique » dirions-nous. Nous ne pouvions en attendre moins de cet ornithologiste, qui au milieu d’erreurs grossières et de légendes un peu ridicules, bien pardonnables pour l’époque, donne des détails fort justes et bien observés, dans une langue d’ailleurs claire et imagée, débarrassée du fatras scolastique. Signalons que son Ornithologie est le premier traité écrit en français sur ce sujet.

Plus d’une centaine d’années plus tard, l’ornithologiste anglais F. Willughby, dans sa fameuse Ornithologie (1678) défend lui aussi les idées migrationnistes, notamment pour l’hirondelle qu’il fait passer l’hiver en Egypte et dans les « Ethiopies ».

On pourrait donc croire qu’au début du XVIIème siècle les idées absurdes qui faisaient plonger les oiseaux sous l’eau des marais pendant l’hiver avaient été définitivement mises à l’écart. Il n’en est cependant rien, car on ne cessa de se batailler pendant tout ce siècle, et même au début du suivant.

En 1747, J. T. Klein publia dans les Mémoires de la Société d’Histoire Naturelle de Dantzig un mémoire, assez confus, comprenant de nombreuses citations d’auteurs variés relatives à ce sujet ; il ressort des conclusions que Klein est partisan de la migration pour de nombreuses espèces, mais non pour la Cigogne et pour l’Hirondelle.

Johann Friedrich GMELIN, le fameux ornithologiste auquel on doit tant de noms scientifiques d’oiseaux, écrit en 1746 à Klein (cité par ce dernier dans son mémoire) :
« Le martin-pêcheur et l’hirondelle de rivage paraissent être des oiseaux permanents. On les retire en effet souvent au cours de l’hiver de trous creusés dans la rive des fleuves, presque morts, mais revenant à la vie lorsqu’ils sont mis à la chaleur. »

Erik Pontoppidan, le célèbre ornithologiste Scandinave émet une opinion analogue dans son Essai d’une histoire naturelle de la Norvège en 1754 quant aux hirondelles.

On n’est pas peu surpris de constater que le grand Carl von Linné, père de notre nomenclature scientifique moderne, soutint la même théorie ; n’écrivit-il pas en effet dans son Systema naturae quant à l’hirondelle : « Hirundo urbica... habite dans les maisons d’Europe, sous les toits ; elle s’immerge l’hiver et ressort au printemps. » Il précise ses idées dans les Ammoenitates academicae (1749).
C’est en vain que ses amis tentèrent de le dissuader de cette opinion erronée. Linné n’en démordit pas, et entraîna la conviction de nombreux ornithologistes de l’époque du fait de son prestige.
[...]
Nous ferons une mention toute spéciale à Buffon, dont l’autorité et le prestige emportèrent une bonne partie de l’opinion de son époque. Déjà dans le premier volume de l’Histoire naturelle des Oiseaux, paru en 1770. dans le plan même de l’ouvrage, il se déclare partisan des migrations, notamment pour l’hirondelle [...]
Et dans les volumes successifs de l’Histoire naturelle des Oiseaux, notamment en parlant des hirondelles, maintint toutes ses conclusions en les précisant largement. Il montre que la plongée sous l’eau est absolument contraire à la physiologie avienne, que toutes les observations antérieures sont entachées d’erreurs, et qu’on ne possède aucune preuve certaine concernant l’hibernation des hirondelles ou de toute autre espèce d’oiseaux.

Dès lors la cause de la migration était gagnée, et son principe admis pour toutes les espèces aviennes. Il resta cependant encore des partisans de l’hibernation, parmi lesquels on retrouve notamment le grand Cuvier ; cet auteur écrivait en effet dans le Règne animal au Chapitre « hirondelle », en 1817 :
« ...il paraît constant qu’elle s’engourdit pendant l’hiver et même qu’elle passe cet état au fond de l’eau des marais. »

Presque 3 siècles après Pierre Belon  !..

Alors pour suivre les traces de cet immense précurseur et de ses migrateurs, mais aussi de nos sédentaires, je vous propose de passer par ici ...

Patrice Giraudeau

PS : je ne résiste pas à l’envie de vous montrer le talent de Pierre Belon, à travers l’extrait de son ouvrage concernant un migrateur emblématique de notre île : la Huppe fasciée.

L'Histoire de la nature des oyseaux, avec leurs descriptions et naïfs portraicts retirez du naturel
L’Histoire de la nature des oyseaux, avec leurs descriptions et naïfs portraicts retirez du naturel
Paris, 1555
Crédits : Pierre Belon (1517 - 1564)

Migrateurs, et sédentaires, Avril est par ici ...