Nous nous sommes croisés en Octobre 2023

Rencontres lors de mes collectes dans les écosystèmes de l’île de Ré

Octobre, le temps de l’escale rétaise pour les Capitaines au long cours..

La lointaine rumeur boréale de Septembre a pris forme ce mois-ci sur nos côtes. Barges, Bécasseaux, Bernaches, Courlis sont arrivés à bon port et prennent ici leurs quartiers d’hiver. Cependant, pour certains, le voyage vers le Sud n’est pas terminé ; Ré n’est qu’une escale, le temps d’une pause et de reprendre des forces.
Lors de mes balades d’Octobre, j’ai eu la chance de croiser deux de ces Capitaines au long cours dont j’aimerais vous conter l’histoire.

Le Bécasseau cocorli (Calidris ferruginea)

Bécasseau : littéralement, petit oiseau au long bec, et cocorli, à cause de son bec long et recourbé à la façon d’un Courlis..
Avec ses pattes un peu plus hautes que celles des autres Bécasseaux, sa silhouette évoque effectivement un Courlis en miniature..

Numenius phaeopus (Courlis corlieu)
Numenius phaeopus (Courlis corlieu)
08/05/2023 - Le Lizay / Les Portes en Ré
Crédits : Patrice Giraudeau
Calidris ferruginea (Bécasseau cocorli)
Calidris ferruginea (Bécasseau cocorli)
09/10/2023 - Le Martray / Ars en Ré
Crédits : Patrice Giraudeau

Quand il arrive chez nous, il a déjà près de 4.000 km dans les ailes !
Comme bien d’autres, il vient des contrées septentrionales, de Sibérie occidentale plus précisément.
Sa destination : l’Afrique de l’Ouest, 3.500 km plus au Sud, soit un périple total de 7.500 km..!
Alors l’escale en Ré est la bienvenue ; estran et marais les accueillent par groupes de quelques dizaines d’individus au maximum. Les vasières leur offrent un plateau de fruits de mer très apprécié, à base de vers, mollusques, petits crustacés, et pour améliorer l’ordinaire, s’y ajoutent même quelques insectes à l’occasion. Ce carburant sans plomb, du moins on l’espère, les mènera au terme de leur voyage.

Cependant, avec la disparition de ses habitats de reproduction, et le décalage entre nidification et pic d’abondance des Insectes (le réchauffement climatique avance les éclosions d’Insectes, mais l’oiseau n’avance pas suffisamment vite son cycle de reproduction), le Bécasseau cocorli est globalement en déclin depuis 1979, déclin qui s’est accentué depuis 2003.
Ainsi ce valeureux Capitaine au long cours est aujourd’hui classé "Quasi-menacé" par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN).

Le Vulcain (Vanessa atalanta)

Il peut vous paraitre étonnant de trouver ici un papillon en guise de Capitaine au long cours. Sachez pourtant qu’il a même reçu le titre d’Amiral (Red Admiral) chez les Britanniques ; bel hommage de la part d’un pays de marins et de grands capitaines qui ont sillonné toutes les mers et océans du Globe !..
Mieux, son nom d’espèce latin, "atalanta" renvoie dans la mythologie arcadienne à Atalante, héroïne célèbre pour la rapidité de sa course et sa participation au voyage des Argonautes..

Le Vulcain est bel et bien un migrateur, surtout pour les populations nordiques, à l’instar de ses cousins d’Amérique, les Monarques (Danaus plexippus).

Ce 9 Octobre, au Martray, j’en ai vu passer, en moyenne, 2 toutes les 5 minutes sur une longueur de 30m. Cela peut vous paraitre peu, mais sur une ligne de 1 km en 1 heure, cela fait 800 individus..!

Vanessa atalanta (Vulcain) - Vol migratoire..
Vanessa atalanta (Vulcain) - Vol migratoire..
09/10/2023 - Le Martray / Ars en Ré
Crédits : Patrice Giraudeau

A quoi ressemble le voyage de ces athlètes de quelques milligrammes qui passent sur nos côtes à cette saison ?

A l’Automne, nos visiteurs arrivent des îles Britanniques voire d’Islande pour les plus nordiques d’entre eux. Quand ils passent par ici, certains ont déjà parcouru plus de 2.000km !
D’ailleurs, l’an prochain, à la même époque, je vous encourage à faire le guet le long du Pertuis Breton, en particulier aux Portes en Ré (au Grand Marchais par exemple), et vous verrez arriver comme un fourmillement juste au-dessus du Pertuis, en provenance de la Vendée.
Vous en verrez même quelques uns faire une pause sur les fructifications de Lierre ou les fleurs d’Arbousier dans le bois de Trousse-Chemise.
"Et un petit dernier pour la route !" en quelque sorte.. (de nectar évidemment !)

Vanessa atalanta (Vulcain) sur des fleurs d'Arbousier
Vanessa atalanta (Vulcain) sur des fleurs d’Arbousier
22/10/2023 - Trousse-Chemise / Les Portes en Ré
Crédits : Patrice Giraudeau

Puis sans attendre, ils filent vers le Sud, cap sur le Maroc, 1.700km plus loin.., via l’Espagne et Gibraltar, pour la majorité.
Et au total, cela fera 4.000km au compteur !
Là-bas, ils donneront naissance à une première génération qui ne remontera au Nord qu’au Printemps suivant mais fort discrètement ; arrivée en Europe et jusqu’en Islande, elle donnera naissance à une seconde génération (et quelques fois à une troisième) qui fera le voyage retour à l’Automne.. Ce sont donc des générations différentes qui effectuent le parcours aller et le parcours retour.. donc, sans jamais l’avoir effectué !
Je vous entends déjà.. Où est le truc ?!!
Pour le Vulcain, aucune preuve de quoi que ce soit à ce jour.
Mais, pour son cousin américain, le Monarque, des chercheurs de la UMASS Medical School et du Worcester Polytechnic Institute, Patrick A. Guerra, Robert J. Gegear et Steven M. Reppert (dans la revue Nature Communications - A magnetic compass aids monarch butterfly migration), ont montré qu’en plaçant ce papillon dans un champ magnétique et en lumière diffuse, au moment de la migration, il s’oriente principalement vers le Sud et que l’inclinaison du champ magnétique s’avère être le facteur déterminant. Cette boussole à inclinaison magnétique, nécessaire à la navigation longue distance, est localisée dans les antennes du papillon et correspond à ce qui est déjà connu chez des vertébrés migrateurs comme les oiseaux ou les tortues..

Cela en dit long sur le concentré technologique des antennes de l’Amiral !..

Enfin, ne soyez pas surpris si au coeur de l’hiver vous en croisez quelques uns dans les sous-bois de chênes verts et de pins de l’île de Ré. En effet, sous nos latitudes, quelques uns ne migrent pas et passent l’hiver chez nous, profitant de leur capacité à résister au froid, y compris à des températures légèrement négatives, ce qui est plutôt rare chez les Insectes. Pour vous donner une idée de cette résistance, sachez que les populations de Scandinavie passent allègrement par dessus les Alpes à l’Automne pour atteindre l’Afrique du Nord !

Alors, bon vent Monsieur l’Amiral, et à l’année prochaine !

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Et pour finir, en images, voici un petit aperçu des spectateurs éparpillés le long des routes empruntées par ces Capitaines au long cours, vaste foule émerveillée par de tels exploits, au point d’en faire pâlir de jalousie quelques étoiles.. de mer !

C’est par ici..
Marthasterias glacialis (Etoile de mer glaciaire)
Marthasterias glacialis (Etoile de mer glaciaire)
01/10/2023 - La Saucière / Les Portes en Ré
Crédits : Patrice Giraudeau

Patrice Giraudeau

Sources :
 Atlas des oiseaux migrateurs de France - Jérémy Dupuy & Louis Sallé / Gwenaël Quaintenne
 L’étymologie des noms d’oiseaux - Pierre Cabard
 A magnetic compass aids monarch butterfly migration. Guerra, P. A. et al. - Nat. Commun. 5:4164 doi : 10.1038/ncomms5164 (2014).