Nous nous sommes croisés en Janvier 2023

Rencontres lors de mes collectes dans les écosystèmes de l’île de Ré

Janvier, le temps des grains..

Des grains dans la campagne rétaise et sur l’océan, du grain dans les photos, faute de lumière..
Des rafales bruyantes dans les bois et les fourrés, grand silence des habitants de ces contrées.
Force 6, voire 7, sur l’estran, Bernaches et Courlis, Grèbes et Harles demeurent imperturbables ; il y en a même qui prennent un air narquois face au photographe qui n’arrive pas à stabiliser l’objectif pour leur tirer le portrait !

Difficile, donc, de vous ramener dans ma besace quelques images de mes collectes ce mois-ci : l’électronique est pour le moins allergique à l’eau et aux embruns..

Janvier 2023, un temps à prendre le temps d’un bon livre..

Justement, à propos de livre, il en est un qui va me servir à rédiger cet article et que tout ornithologue, amoureux de linguistique et d’histoire(s) doit toujours avoir à portée de main : "L’étymologie des noms d’oiseaux" de Pierre CABARD (Ed. Delachaux & Niestlé - Edition 2022). A lire au gré des observations et de votre curiosité..

Alors, cette besace, que nous raconte-t-elle ?

Dans le lot, je vous ai choisi 7 espèces, histoire de tenter de vous récapituler ce qui a pu guider les ornithologues dans leur façon de nommer les oiseaux, en français ou en latin, grâce à l’ouvrage de Pierre CABARD (les termes en gras ci-dessous seront explicités) :
 Grive draine, Turdus viscivorus
 Grèbe esclavon, Podiceps auritus
 Macreuse noire, Melanitta nigra
 Chevalier aboyeur, Tringa nebularia
 Bernache cravant, Branta bernicla
 Barge rousse, Limosa lapponica
 Martin-pêcheur d’Europe, Alcedo atthis

Origine du nom liée à des caractéristiques biologiques de l’oiseau
* la couleur : Melanitta, du grec "melas", noir et "nètta", canard
* le motif ornemental : Grive, de "grivel" en vieux français, signifiant tacheté
* la morphologie : Podiceps, du latin "podex", croupion et "pes", pieds ou pattes ; les Grèbes ont les pattes très en arrière du croupion.

Podiceps auritus (Grèbe esclavon)
Podiceps auritus (Grèbe esclavon)
17/01/2020 - Trousse-Chemise / Les Portes en Ré
Crédits : Patrice Giraudeau

* le cri : draine, qui désigne cette espèce de Grive, est une tentative de transcription de son cri d’alerte.

Turdus viscivorus (Grive draine) - cri d’alerte
13/12/2022 - Les Evières / Le Bois-Plage
Patrice Giraudeau

* le régime alimentaire : viscivorus, du latin "viscum", le gui, et "voro", dévorer ; la Grive draine se nourrit entre autres des baies du Gui ; les graines, non digérées, sont rejetées avec les excréments, contribuant ainsi à la dissémination du Gui. Mais, point de Gui sur l’île de Ré ; faute de Gui, la Grive draine les remplacera par les baies du lierre, et au Printemps, elle redeviendra essentiellement insectivore (larves).
* le comportement : Grèbe, serait à rapprocher de l’italien "garbuglio", tumulte, désordre, qui a donné "grabuge" en français ; ce serait une allusion au comportement bruyant de ces oiseaux lors de la formation des couples dans les marais.
* l’habitat : nebularia, du latin "nebula", la brume ; cela fait référence à l’habitat du Chevalier aboyeur dans les brumes des marais nordiques.

Origine du nom liée à une ressemblance :
* Chevalier, à cause de leur allure "perchée sur pattes" ; voici comment Belon, au XVIème siècle les décrit : "oysillons haut encruchés sur les jambes, quasi comme étant à cheval"

Origine du nom liée à la provenance géographique :
* lapponica, par référence à l’origine de la Barge rousse, la Laponie où elle niche.

Origine du nom par héritage d’une dénomination vernaculaire ancienne :
* Macreuse, terme qui au moyen-âge désignait indistinctement tous les oiseaux sombres vivant dans les rivières, marais ou en mer. C’est aussi pour cela que la Foulque est macroule ; c’est une variante du même mot.

Origine du nom liée à des légendes et croyances populaires :
* bernicla, Bernache, "bernacle" en anglais. Ces termes revoient à une même ambiguïté, puisqu’ils désignent à la fois une oie noire et un Crustacé Cirripède, appelé aussi Anatife. Pierre Cabard nous donne l’explication : "Cela remonte à une vielle légende qui, se basant sur la toute relative ressemblance entre le Crustacé blanc porté sur son pédoncule noir et la tête blanche et le cou noir de l’oie, affirmait que les oies bernaches naissaient en poussant sur un support dont elles finissaient par se détacher. D’où le mot "anatife" désignant le Crustacé, issu du latin "anas" (canard) et "fero" (porter)."

Lepas (Anatifa) anatifera
Lepas (Anatifa) anatifera
16/01/2023 - Anse Imbert / Sainte-Marie de Ré
Crédits : Pascal Gauduchon

Origine du nom liée à la mythologie :
* atthis ; dans la mythologie grecque, Atthis était réputée pour sa beauté et elle fut une des favorites de la poétesse de Lesbos, Sappho. C’est ainsi que Carl von Linné a voulu tout simplement rendre hommage à la beauté du Martin-pêcheur d’Europe...

Je crois qu’il est temps maintenant d’observer le contenu de la besace : c’est par ici..

Patrice Giraudeau