Mai, un mois de marées..
Le hasard de mes investigations m’a conduit à plusieurs reprises sur les estrans de l’île et je ramène dans mes filets force créatures insolites dont l’animalité n’est pas toujours évidente.
Après vous avoir vanté le monde des invertébrés il y a quelques mois, je vous invite à découvrir un des ces groupes d’inconnus, bien à l’abri sous les rochers ou au contraire, perdus au large, très loin de nos côtes, et dans tous les cas, d’une discrétion absolue.
Indifférence bien regrettable, car ils sont une page de l’histoire de la Vie sur Terre, et en particulier de la nôtre !
Il y a 590 Millions d’années, au tout début de l’ère Primaire, ils vont donner corps à une tentative d’innovation génétique majeure de l’évolution : la construction d’un axe nerveux du côté dorsal (jusqu’ici, cela se produisait toujours du côté ventral).
Cette tentative, non aboutie, car elle n’est présente qu’au stade larvaire, va faire de cette lignée la plus proche parente d’une autre lignée qui connaitra une réussite spectaculaire : celle des Vertébrés.
Alors qui sont ces lointains "cousins", entourés d’une gelée translucide, sorte de squelette dont la relative rigidité est due à la présence de.. cellulose ! Oui, vous avez bien lu : cet animal produit de la cellulose, et d’une pureté telle, que cela donne quelques idées à nos ingénieurs ...
Parée de cet étonnante enveloppe, appelée "tunique" par les biologistes, voici donc la lignée des TUNICIERS (appelés aussi UROCHORDÉS à cause de la tentative de construction de l’axe dorsal - la chorde - à partir de la queue de la larve).
Au cours de mes investigations rétaises, de nombreuses rencontres avec des Tuniciers vont me permettre de vous présenter les 2 groupes majeurs constituant cette lignée :
– les Ascidies (leur nom fait référence à leur forme d’outre - "asque" en grec) ; la majorité des espèces de Tuniciers appartient à ce groupe, qui présente aussi bien des individus solitaires que coloniaux, observables sur l’estran ou sur les fonds en bordure de côte.
– les Salpidés (leur nom fait référence aussi à leur forme, certains ayant une allure de "trompette") ; ils sont tous pélagiques.
Un exemple d’ascidie solitaire : Ciona intestinalis
Cette espèce illustre très bien le modèle de base des ascidies, tant par sa forme que par son anatomie : une outre avec 2 siphons.
Un exemple d’ascidie coloniale : Botryllus schlosseri (Botrylle étoilé)
L’animal est constitué d’individus (appelés zoïdes dans ce cas) ayant la même architecture qu’une ascidie solitaire. Plusieurs zoïdes s’organisent autour d’un siphon cloacal commun, formant ainsi un "système" ; cela contribue à donner l’aspect étoilé de la colonie.
Un autre exemple d’ascidie coloniale, plus élaboré : Lissoclinum perforatum (Didemnide perforé)
Ici, les zoïdes ne sont plus visibles : ils sont dissimulés sous la tunique commune blanchâtre. Les siphons buccaux de chaque zoïde sont regroupés, formant de petites ostioles sombres à la surface de la colonie ; par contre, comme chez les Botrylles, les siphons cloacaux sont communs à de nombreux zoïdes et forment des "trous" plus ou moins importants dans la colonie.
Enfin, autre type de Tunicier rencontré au large de Ré et Oléron, les Salpidés : Pegea confoederata (Salpe enroulée)
Les espèces de cette famille, toutes pélagiques, alternent au cours de leur cycle de vie une forme solitaire, asexuée, et une forme agrégée, sexuée.
Chaque individu, de grande taille (15cm environ), présente une forme tubulaire, avec un siphon à chaque extrémité. La transparence de la tunique permet d’identifier plusieurs organes de l’animal.
La forme agrégée est particulièrement spectaculaire, flottant juste sous la surface de l’océan, et formant une sorte de "cartouchière" enroulée dont la longueur dépasse le mètre.
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A la fin du mois, l’inattendu était au rendez-vous, comme cela se produit souvent dans mes balades rétaises : deux mondes, rarement visibles ici, ont croisé mon chemin.
Tout d’abord celui des Aigles, avec un visiteur peu fréquent sur l’île. Son envergure (1,60m à 1,80m), ses yeux ambres, son plumage clair, ne passent pas inaperçus : un couple de Circaètes Jean-le-Blanc est venu chasser toute une après-midi dans le Sud de l’île. Superbe spectacle donné par ces oiseaux, au milieu des Milans noirs et Faucons crécerelles qui ont tenté en vain de dissuader les nouveaux arrivants !
Lézards verts et autres Reptiles ont encore moins apprécié !..
Et puis le monde des Reptiles marins, avec de glorieux survivants de toutes les catastrophes, depuis la chute d’un astéroïde il y 65 Millions d’années jusqu’aux conséquences de l’activité humaine aujourd’hui ; leur lenteur proverbiale, mais toute relative, ne les empêche pas de sillonner mers et océans en tout sens, et, curieusement, c’est une nymphe des montagnes, Chélone, qui est à l’origine de leur nom : voici donc les Chéloniens, ou plus simplement.. les Tortues !
En effet, l’Aquarium de La Rochelle recueille toutes les tortues qui s’échouent sur les plages du littoral atlantique et de la Manche (appelez le 05 46 34 00 00 si vous en trouvez une ) ; après les avoir soignées et remises en condition, elles sont relâchées dès que leur état le permet. Cette année, ce sont près de 130 tortues qui ont pu retourner à la vie océane et je vous invite à suivre quotidiennement le périple de 2 d’entre elles, "Oum" et "Oxygène", de retour dans l’Océan depuis le 28/05/2024.
Après tous ces détours dans cette île qui, certains mois, peut paraître immense, tant sa diversité biologique est étendue, il est grand temps de retrouver mes rencontres de Mai ; c’est par ici ..
Patrice Giraudeau
PS : à signaler, 3 plantes rares sur l’île, observées ce mois-ci :
– Hélianthème taché (Tuberaria guttata - Cistacées) ; rare sur Ré alors qu’il est fréquent sur le littoral atlantique
– Ciste hirsute (Cistus inflatus - Cistacées)
– Ciste de Montpellier (Cistus monspeliensis - Cistacées)