Nous nous sommes croisés en Octobre 2024

Rencontres lors de mes collectes dans les écosystèmes de l’île de Ré


Octobre : foules incommensurables, silhouettes insolites et lumières irradiantes..
Sous un ciel désespérément éteint, tout est là pour vous éblouir..

Avec ses Barges, et la multitude qui virevolte dans un étourdissant ballet éphémère,

Limosa limosa (Barge à queue noire)
Limosa limosa (Barge à queue noire)
10/10/2024 - Le Gros Coin (LA COUARDE)
Crédits : Patrice Giraudeau

avec ses Pycnogonidés , propulsant le réel bien au delà de la science-fiction,

Nymphon gracile
Nymphon gracile
18/10/2024 - La Cible (SAINT MARTIN DE RÉ)
Crédits : Patrice Giraudeau

et avec ses Éponges, comme autant de lueurs dans l’obscurité océane,

Dysidea fragilis (Eponge mie de pain mouillée)
Dysidea fragilis (Eponge mie de pain mouillée)
18/10/2024 - La Cible (SAINT MARTIN DE RÉ)
Crédits : Patrice Giraudeau

Octobre pourrait bien vous surprendre, tant le Vivant n’est pas avare d’inventions et d’élégance.

Dans cette besace digne d’un magicien, des créatures de pierre, tout droit sorties des eaux par la force des malines1 d’automne, attirent immanquablement le regard.
Elles constituent un véritable trésor gisant là, devant la citadelle de Saint Martin, sur le fond du Pertuis Breton depuis des siècles : le Maërl.

"Vid’ danc ta gourbeuille, qu’i vouèyans qu’est-o qu’tcho merl’ " comme diraient les anciens de l’île de Ré2

Phymatolithon calcareum (le Maërl)
Phymatolithon calcareum (le Maërl)
18/10/2024 - La Cible (SAINT MARTIN DE RÉ)
Crédits : Patrice Giraudeau

Mieux que la statue du Commandeur, ce corps de pierre est bien vivant. Il s’agit d’algues, d’algues rouges (Rhodophytes pour les spécialistes - 2 espèces constituant le maërl sur la façade atlantique : Phymatolithon calcareum, principalement, et Lithothamnion corallioides) qui présentent au moins 2 caractéristiques singulières :
⊚ La première renvoie à leur capacité à fixer les carbonates marins, de calcium et magnésium, dans leurs parois cellulaires où ils cristallisent, prenant ainsi une forme minérale d’une grande pureté chimique.
⊚ La seconde singularité concerne leur mode de vie : ces algues sont libres, c’est à dire qu’à la différence des autres, elles ne se fixent pas sur un substrat et se trouvent donc entrainées par les courants. Ainsi, à la faveur de zones plus calmes, d’eaux claires, peu chargées en particules pour pouvoir effectuer la photosynthèse, elles s’accumulent sur les fonds marins entre 30m et la limite des basses mers de vives-eaux.

Ces zones d’accumulation forment de véritables bancs sur des épaisseurs de quelques dizaines de centimètres et constituent des écosystèmes d’une grande biodiversité , au point que depuis 2012, ces gisements sont protégés.

Fiche Habitats du banc de Maërl
Fiche Habitats du banc de Maërl
Crédits : Yann Souche - Office Français de la Biodiversité

En effet, jusqu’à cette date, le maërl faisait l’objet d’une exploitation intense, commencée il y a plusieurs siècles..
Maërl désigne en breton un amendement calcaire pour des sols siliceux acides. Le mot provient du vieux français "marle", désignant une argile calcaire connue aujourd’hui sous le nom de marne .

Manifestement ce matériau a été utilisé depuis l’antiquité comme amendement, et plus récemment comme additif alimentaire pour le bétail, et dans des préparations pharmaceutiques et de chirurgie osseuse. Il a été aussi utilisé dans des systèmes de filtration et d’épuration des eaux usées.
En France, en Bretagne plus particulièrement, l’extraction de maërl représentait près de 600.000 tonnes par an dans les années 1970.

Si l’on ajoute à cela que le maërl a une croissance très lente (0,55mm/an pour Phymatolithon calcareum), le renouvellement de la ressource est extrêmement lent au point de la considérer comme ressource non renouvelable, ce qui lui a valu sa mise en protection au niveau européen.

C’est donc dans le cadre de cette directive qu’en 2012, et sur la base d’informations datant des XIXème et XXème siècles, que Pierre-Guy Sauriau et son équipe, de l’Université de La Rochelle, ont entrepris des recherches de maërl dans les Pertuis charentais et ont pu identifier au large de la citadelle de St Martin de Ré, un banc de 200ha environ , banc le plus méridional connu à ce jour dans le Golfe de Gascogne.

Alors, quand vous verrez bientôt les Coquilles Saint-Jacques du Pertuis Breton sur les étals des marchés d’Aunis, pensez qu’une bonne partie d’entre elles ont grandi sur ce banc de maërl..

Je crois qu’il est temps de retrouver Octobre,
"Vins danc, o l’est prlaçhi" ..3

Patrice GIRAUDEAU

Sources

 Fiche de synthèse sur les biocénoses : Les bancs de maërl - J. Grall (2003)

 Collectif de recueil du patrimoine oral rétais - 15ème Veillée des Conteurs (Ars en Ré - Octobre 2024)
1 : Grandes marées qui ont lieu à la nouvelle et à la pleine lune, et dont les plus considérables arrivent aux équinoxes
2 : "Vide donc ta besace, pour qu’on puisse voir ce qu’est ce maërl"
3 : "Viens donc, c’est par ici"