Sous les galets, le sable

Texte : Jean-Pierre Pichot

Au bord d’un lac, d’une rivière ou face à une mer d’huile, qui n’a pas été tenté de faire des ricochets à la surface de l’eau avec un galet. Un jeu jadis en usage dans la Grèce antique, appelé épostracisme, et pratiqué non pas avec des galets mais avec des coquilles. Un jeu qui, depuis 2007, a son recordman du monde, un américain, avec 51 rebonds ! Qui prétend mieux faire ?
Mais là n’est pas la question. Posons nous plutôt celle de savoir :

Pourquoi certaines plages sont faites de sable et d’autres de galets ?

Grève d'Etretat
Grève d’Etretat
Crédits : Jean-Pierre Pichot

Les hautes falaises du Pays de Caux, formées essentiellement de craie, contiennent en leur sein quantité de galets de silex. Agressée, érodée par les agents dynamiques externes que sont les précipitations, le vent, les vagues, la craie finit par se dissoudre, libérant ainsi les silex très durs qui, ensuite, sous l’effet des courants marins vont être transportés, roulés puis déposés sur le rivage pour former des plages de galets, des grèves.

Plage de sable de l'île de Ré
Plage de sable de l’île de Ré
Crédits : Jean-Pierre Pichot

Sur d’autres littoraux de nature géologique différente, comme dans les régions riches en grès, les effets des mêmes agents érosifs ont d’autres conséquences. Le grès étant une roche sédimentaire résultant de l’agrégation et de la cimentation de grains de sable, l’érosion aura pour effet de désagréger, de désolidariser ces grains que la mer déposera ensuite sur le rivage pour façonner une plage, mais une plage de sable.

Avec d’autres types de matériaux, comme des roches granitiques, le résultat final de leur érosion se matérialisera par l’obtention d’un sable généralement plus grossier.
En fait, une plage n’est rien d’autre qu’une zone d’accumulation de sédiments variés, tels des galets, des graviers, des sables, des vases ; une formation géologique à laquelle contribue par ailleurs l’activité biologique des êtres marins. Ces sédiments constitutifs de la plage proviennent soit d’une érosion de proximité de type littorale ; soit d’une érosion continentale. Dans ce second cas de figure, acheminés jusqu’à la côte par les cours d’eau ou les glaciers, les éléments détritiques divers et variés sont ensuite redistribués sur le trait de côte par les courants, les vagues, la dérive littorale.
Certains fonds marins situés au large des côtes, jadis alimentés par l’érosion lors de systèmes morpho-climatiques antérieurs, peuvent aujourd’hui représenter grâce à la courantologie une autre source d’apports en sédiments pour les plages actuelles.
De l’énergie des courants et des vagues à laquelle sont exposées les littoraux, et ce fonction de leur configuration, de leur géométrie, dépend la nature granulométrique des plages. Ainsi, dans les secteurs les plus exposés dominent les grèves. Là, où l’exposition est disons moyenne, les plages de sable l’emportent. Quant aux secteurs côtiers les mieux abrités des vagues, les éléments les plus fins, type vase, se déposent.

Erosion à la plage du Peu Ragot
Erosion à la plage du Peu Ragot
Crédits : Jean-Pierre Pichot

De la fragilité des plages

Sans même tenir compte des effets du réchauffement climatique et de la montée des eaux, les tempêtes hivernales attestent de la fragilité des littoraux quelque soit leur nature géologique.

Ainsi dans l’île, dunes et falaises reculent, plages de sable « dégraissent ». Par ailleurs, la forte ou la faible exposition aux vagues varie au cours des saisons, si bien qu’en hiver les hauts de plage peuvent être recouverts de sédiments grossiers type galets, alors qu’en été, le sable aura repris ses droits.

L’anthropisme, notamment l’aménagement du territoire, reste un facteur non négligeable de la dérégulation en apports sédimentaires, voire même une cause notable de l’érosion des plages.
Ainsi, suite à l’édification de barrages sur des fleuves qui jusqu’alors étaient de par leur compétence les vecteurs essentiels de ces apports, force est de constater qu’en retenant d’énormes volumes de sédiments, certains secteurs côtiers finissent aujourd’hui par en manquer. Un déficit qui explique la disparition de certaines plages, ce qui dans certains cas nécessite pour les collectivités, l’obligation à des fins économico-touristiques de recharger artificiellement ces plages en sable. De même en venant perturber la dynamique naturelle de la dérive littorale par la simple construction d’un épis, surtout s’il est mal orienté, cela peut avoir des conséquences néfastes dans l’équilibre d’une plage. Des plages rétaises en ont été victimes, mais certaines réglementations en vigueur font qu’il est interdit de détruire ces anciennes constructions et donc de remédier au problème !

Les grèves ou plages de galets

Galets émoussés non aplatis, dans une Grève
Galets émoussés non aplatis, dans une Grève
Crédits : Jean-Pierre Pichot

Si la plage de sable s’avère plus confortable pour y étaler sa serviette et se prélasser au soleil,
la plage de galets n’est pas sans intérêt pour qui aime à écouter le bruit des cailloux roulés par
les vagues. Leurs couleurs, souvent très variées, donne par ailleurs une touche zen à l’endroit.

Galets colorés
Galets colorés
Crédits : Jean-Pierre Pichot

Médicalement parlant, les plages de galets sont recommandées à toutes celles et ceux qui ont des problèmes de cellulite ou de tension artérielle. Mais on peut toutefois leur reprocher de rendre la sortie de l’eau parfois très périlleuse !

Par définition, un galet est un fragment de roche dont la longueur est comprise entre 2 et 20 cm, avec à vue d’œil leur plus grande dimension qui est généralement 1,3 à 2 fois plus longue que leur plus petite épaisseur.

Marmite
Marmite
Crédits : Jean-Pierre Pichot

Mais au fait, pourquoi les galets ne sont-ils pas sphériques ?

Pourquoi le processus d’émoussement et d’arrondissement des angles n’aboutit-il pas à la phase ultime de sphère ? Théoriquement, la sphère finie, celle qui n’évoluerait plus, ne serait possible qu’en l’absence de gravité, or le courant et la houle sont générés par la gravité. Un galet en forme de sphère parfaite ne peut donc exister. En règle générale, pour réaliser une boule cela nécessite un mouvement de rotation, une dynamique que l’on ne retrouve que dans les marmites !

Grève aux galet hétérométriques en voie d'aplatissement
Grève aux galet hétérométriques en voie d’aplatissement
Crédits : Jean-Pierre Pichot

Or, dans un cours d’eau le courant n’a qu’un seul sens. Le galet finit généralement sa course quelque part en aval là où cesse la compétence au transport, d’où l’aspect globalement plat des galets.
Sur les plages, dans la zone dite "surf zone", en raison d’un courant à double sens (flux et reflux), les galets sont plus facilement brassés par les vagues, roulés en permanence.
De plus les tempêtes sont plus fréquentes que les crues. Ils sont donc en suspension plus souvent et par conséquent, subissent un processus d’abrasion bien plus important que dans un cours d’eau, d’où il en résulte un aspect plus arrondi, pouvant même aller jusqu’à une usure complète.

Un bon observateur, à l’occasion d’une promenade sur la plage remarquera sans doute que la forme des galets entre haut et bas de plage diffère. Il s’agit de la résultante d’un tri établi en fonction de leur morphologie. Ainsi, les plus plats, « surfant » sur l’eau, seront portés par la vague en haut de plage, alors que les plus massifs, roulant sous l’eau se concentreront en bas de plage.

Galets aplatis et indiquant le sens du courant
Galets aplatis et indiquant le sens du courant
Crédits : Jean-Pierre Pichot

La morphométrie des galets

On ne saurait concevoir une étude géomorphologique des plages, des cordons littoraux et des alluvions fluviatiles, sans passer par la case étude morphométrique des galets. La forme initiale d’un galet dépend pour beaucoup de celle du fragment de roche initial, de même que la texture de la matière est également un facteur très important du dit-galet. Sous l’effet de chocs, les angles aigus sont logiquement les premiers à disparaître alors que les surfaces plates résistent plus longtemps.
En laboratoire, les dimensions de chacun des galets de l’échantillonnage prélevé sont mesurées (longueur, largeur, épaisseur). Les résultats sont souvent exprimés par leur médiane et représentés sous forme de courbes ou bien d’histogrammes. A partir des valeurs obtenues, sont alors calculés des indices (aplatissement, émoussé, etc.) qui permettent de définir quantitativement les caractéristiques morphométriques des galets.

Des galets, nait l'inspiration artistique
Des galets, nait l’inspiration artistique
Crédits : Jean-Pierre Pichot

Les galets sont caractérisés par trois dimensions : L (plus grande longueur), l (plus grande largeur) et e (épaisseur). Essentiellement dépendant de la nature pétrographique de la roche, l’indice d’aplatissement des galets est d’un calcul simple. Op = (L+l) / 2 x e. Plus cet indice est élevé (rarement supérieur à 3), plus le galet est aplati. Autre indice calculé, le degré d’arrondissement ou indice d’émoussé, lequel renseigne sur le degré d’érosion subi.
IE = 2r / L x 1 000 (r étant le plus petit rayon de courbure mesuré dans le plan principal du galet, L la plus grande longueur du galet). Il résulte de ce calcul que plus l’indice d’émoussé augmente, plus le galet est émoussé. L’indice maximum possible étant 1 000 (celui de la sphère parfaite), tous les galets possédant un indice inférieur à 100 seront par conséquent les moins émoussés.

Les plages de sable

Concours de châteaux de sable
Concours de châteaux de sable
Crédits : Jean-Pierre Pichot

Ah ! La plage, le sable...le bonheur des petits comme des grands. Armés de seaux et de pelles la plage de sable permet aux enfants de construire des châteaux, de faire des pâtés. Elle offre aux plus grands la possibilité de pratiquer de nombreux sports, comme l’ultimate, le beach volley, le footing, le football, etc.

Des avantages, mais aussi quelques désagréments, notamment quand le vent se lève et que les grains en suspension viennent vous fouetter le visage ou bien perturber un pique-nique qui s’annonçait idyllique. De plus, la plage est un écosystème où vivent de nombreux petits animaux que certaines personnes n’apprécient guère !
Dans les catalogues des agences de voyage le sable nous est vendu comme toujours blanc et fin, mais sans aller très loin, qui n’a pas remarqué que chaque plage a sa propre identité avec des grains plus ou moins gros, des couleurs différentes, des pourcentages de débris de coquillages plus ou moins importants. D’où la question de savoir pourquoi le sable est fin, grossier, noir, gris, vert, rose, rouge, jaune ou bien encore d’un blanc immaculé ?

Plage de sable noir
Plage de sable noir
Crédits : Jean-Pierre Pichot

Par définition, le sable, est un sédiment détritique meuble provenant de la désagrégation de matériaux d’origine minérale ou organique (roches, coraux, coquilles) dont les grains sont en majorité compris entre 1/16 mm et 2 mm, de la classe dite des arénites.
Certes, les pieds à coulisses et les calculettes ne figurent pas dans l’arsenal classique des articles de plage, et encore moins les microscopes et autres loupes binoculaires. Alors, rares seront les vacanciers qui, de retour chez eux, pourront lors d’une soirée entre amis les interpeller en leur déclarant avoir passé des heures entières de farniente, allongé sur une plage de sable aux grains non usés, émoussés-luisants ou bien encore ronds mats (selon la nomenclature d’André Cailleux), et leur révéler que tous ces petits grains ont parfois connu une longue histoire géologique au cours de laquelle ils ont parcouru de très grandes distances !
Ces variations de couleur constatées entre les plages de sable n’ont rien à voir avec une éventuelle pollution, on les doit à la composition chimique, au mode de cristallisation des minéraux (quartz, olivine, micas, feldspath, etc.), voire à certains éléments étrangers à la structure cristalline, qui composent la roche originelle.

Plage de sable blanc
Plage de sable blanc
Crédits : Jean-Pierre Pichot

Mais tous les sables ne sont pas d’origine exclusivement minérale. Certains contiennent des
grains calcaires voire même parfois en être entièrement constitués,. Ces sables, sous l’action des vagues ou de certains organismes broyeurs proviennent de la fragmentation de coquilles ou de coraux.
La couleur et l’aspect des sables reflètent donc leur provenance, de leurs modalités de transport et de leur dépôt. Chaque plage de sable en étant différente témoigne de son histoire, pour qui sait le lire !

Plage de sable rouge
Plage de sable rouge
Crédits : Jean-Pierre Pichot

La morphoscopie des sables

Grains non usés
Grains non usés
Crédits : Jean-Pierre Pichot

Au laboratoire, l’examen morphoscopique des grains de sable, observés à la loupe binoculaire, en lumière réfléchie, permet au géologue et au géomorphologue de différencier des types de grains correspondant chacun à un certain milieu de formation. Cette technique, mise au point par André Cailleux (1942) renseigne sur la forme et l’aspect de surface des grains.
Parmi les principaux types de grains que l’on peut rencontrer sur les plages de la façade atlantique, les grains non usés (N.U.) résultent de la désagrégation mécanique ou chimique des roches.
Anguleux, ils sont souvent de forme irrégulière. On les trouve dans certains sables marins, quand le matériel provient d’une roche récemment désagrégée et que les vagues sont peu violentes.

Grains émoussés émoussés et luisants
Grains émoussés émoussés et luisants
Crédits : Jean-Pierre Pichot

Les grains luisants ont été usés dans l’eau. Ils se déclinent en grains légèrement émoussés
(émoussés-luisants (E.L.)), ovoïdes (ovoïde-luisant) ou arrondis (rond-luisant) et présentent tous malgré leur degré d’usure différent des surfaces convexes, polies et luisantes. C’est sur les plages, que l’aspect luisant, qui requiert une longue durée de façonnement, est le plus courant.
Quatre facteurs expliquent pourquoi l’usure des grains est très inégale sur une même plage : la durée de l’action mécanique, la situation et l’altitude du gisement dans la zone intercotidale, l’exposition de la plage par rapport aux vents dominants, la pente de la plage.

Grains émoussés, luisants et polis
Grains émoussés, luisants et polis
Crédits : Jean-Pierre Pichot

Les grains mats ont quant à eux été façonnés dans le vent. Ils offrent une surface criblée de petites cupules occasionnées sous l’effet de chocs multiples au cours de la saltation par arrachement d’écailles. Les grains perdent alors leur transparence, prenant ainsi l’aspect d’un verre dépoli. En fonction de leur usure, ces grains peuvent être classés en non usés picotés, émoussés mats et ronds mats (R.M.).
Sur nos côtes, c’est dans les dunes littorales qui dominent la plage que l’on observe ces types de grains, à condition que la période d’agitation ait été suffisamment longue pour que l’usure éolienne soit bien imprimée, sinon ces grains auraient la même morphoscopie que ceux des plages situées encontre-bas.

Grains émoussés mats
Grains émoussés mats
Crédits : Jean-Pierre Pichot

Toujours en laboratoire, une analyse microscopique d’un sable brut peut venir compléter l’analyse morphoscopique, afin cette fois de déterminer tous les constituants (pétrographie, microfossiles, etc.) du grain et d’en déduire l’origine et les conditions de la mise en place du sédiment.

Grains ronds mats
Grains ronds mats
Crédits : Jean-Pierre Pichot